ÉDITORIAL // Libreville : Quand les maisons tombent, les chefs aussi ?
Dans le tumulte discret des ruelles cabossées de Petit Paris, au cœur du 3e arrondissement de Libreville, les murs tremblent. Mais ce ne sont pas les marteaux-piqueurs qui font frémir

Dans le tumulte discret des ruelles cabossées de Petit Paris, au cœur du 3e arrondissement de Libreville, les murs tremblent. Mais ce ne sont pas les marteaux-piqueurs qui font frémir les habitants ces jours-ci. Non. C’est la rumeur , Une rumeur plus tenace qu’un câble de la SEEG. Une rumeur qui court plus vite que les enfants dévalant la pente vers le carrefour du Motel.
« Papa Mbadinga est mort. » La phrase claque comme un verdict. Brutal. Inattendu. Et surtout… troublant.
Il n’était pas qu’un chef de quartier ordinaire. Il était la voix grave du soir, le doyen , celui qu’on allait voir pour régler les querelles de clôture ou demander une lettre de résidence « en urgence ». Mais ces derniers jours, Papa Mbadinga avait troqué le fauteuil en plastique de sa véranda contre une mission bien plus délicate : accompagner les équipes de la mairie pour marquer les maisons à détruire, dans le cadre de la grande opération d’« assainissement urbain des bassins versants» prônée par les plus hautes autorités.
Et c’est là que l’histoire bascule. Le chef, disent les témoins, n’avait pas terminé de faire le tour du quartier que son pied s’est mis à gonfler. Un mal vif, soudain, presque selon un voisin. Un genre de douleur aux allures de « fusil nocturne« , cette arme invisible que l’on attribue aux règlements de comptes d’un autre temps , ou peut-être d’un autre monde.
Après une hospitalisation , vint la chute. La vraie. Quelques jours plus tard, Papa Mbadinga rendait l’âme. Officieusement , Les interprétations fusent : punition mystique ? Réaction d’un « collectif de maisons condamnées » ? À Petit Paris, tout est possible, même l’impossible.
Les bulldozers n’ont pas encore commencé à casser, Mais dans la tête des habitants, le doute s’installe déjà : le chef a-t-il payé de sa vie sa coopération avec les autorités ? Une collaboration vue par certains comme une trahison silencieuse, par d’autres comme un acte de responsabilité. La frontière entre devoir civique et pacte dangereux semble bien mince, surtout quand le prix à payer se mesure en cercueil.
Et maintenant que le chef n’est plus, une autre question plane, pesante : qui osera succéder à Papa Mbadinga ? Qui aura le courage ou l’inconscience d’enfiler le » costume » de chef et de poursuivre l’opération d’assainissement ? À Petit Paris, la chefferie est devenue un trône vide que personne ne veut occuper… surtout s’il faut y laisser un pied.
La Rédaction.